Janvier 2020, un des premiers cas du coronavirus est hospitalisé au CHU de Bordeaux. Ce français d’origine chinoise travaille dans le milieu du vin et fait des allers-retours entre la France et la Chine, dans le cadre de son activité professionnelle. Il a par ailleurs transité par Wuhan, foyer de départ de la pandémie qui va suivre.
Après cette annonce, la population bordelaise prend conscience que le virus, sévissant si loin de chez nous, est bien arrivé sur nos terres. Les locaux se ruent alors dans les pharmacies pour se fournir en masques et gel hydroalcoolique. En une semaine, tout est pillé. On ne trouve plus ni l’un ni l’autre. A ce moment-là, nous n’avons pas beaucoup d’informations sur le fléau qui va nous frapper. Les patients commencent à poser leur premières questions « mais ça va arriver jusqu’à nous ? », et exprimer leurs doutes « ils ont dit que c’était juste une grippe », « vous en pensez quoi vous? ». Très franchement, et bien qu’infirmer, au cœur du système de santé, je n’avais aucune idée précise de ce qu’il se passait réellement.
Je suivais de près l’évolution des nouvelles qui sortaient dans la presse. Faisant le tri, entre les déclarations officielles, les rumeurs, fakenews…etc. Entre “libéraux”, on discutait, on se demandait si on avait quelques masques en réserve… On connaissait vaguement le mode transmission du virus et les moyens de protection à mettre en place.
Après ce premier frémissement, un calme relatif est revenu.
Février, l’épidémie s’étend en France, faisant sa 1ère victime à Paris le 26 du même mois. A Mulhouse, une bombe à retardement est enclenchée. Bordeaux n’est alors que peu touchée mais l’inquiétude gagne la ville, comme le reste du pays qui passe au stade 2 épidémique. Les gestes barrières sont expliqués, diffusés et nos patients s’y plient volontiers. Les questions continuent d’affluer et mes réponses sont empreinte de certitude : “oui on va être touché tout comme le reste du monde”.
Mars…”nous sommes en guerre” martèle notre Président, lors de son allocution où il annonce le confinement de la France après avoir fermé écoles, universités et restaurants une semaine plus tôt. A Bordeaux le 1er décès lié au coronavirus est annoncé cette même semaine. Ce mois de mars va changer beaucoup de choses, dans la façon de travailler, de gérer nos patients, nos prises en charge, mais aussi sur le plan matériel, humain et personnel.
Échange entre associés : « On a quoi en réserve comme matos ? », celui qu’on utilise souvent : les gants et le gel hydro-alcoolique. Mais celui qu’on utilise rarement (voire jamais) à domicile : les masques, les surblouses, les lunettes de protection, les charlottes, etc., on n’a pas du tout en stock. « Bon ok, on part à la guerre avec un canif ». « Tant pis, s’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème ».
Les 1ers stocks de masque de l’État sont envoyés en pharmacie, dès le 2 mars, nous en avons grâce aux officines du quartier qui nous ont contacté pour nous dire qu’elles nous les réservaient. Je pense à une en particulier, qui s’est démenée dès le premier jour pour nous trouver du gel, des gants et des masques au moment où on n’en trouvait presque plus et en plus, avec une réduction ! « Pas question que je me marge sur des produits aussi vitaux pour vous ».
Puis des actes de solidarité vont nous permettre de récupérer du matériel. Le mari d’une de mes associés est ingénieur dans l’industrie, il nous trouve une boite de masque FFP2 et une boite de lunette de protection. Le vétérinaire d’une autre associée, l’a contacté spontanément pour lui livrer gracieusement masques, surblouses et visières de protection. Au départ nos stocks étaient inexistants et progressivement, nous avons récupéré le matériel de protection de base. Du canif nous sommes passés à la machette.
A notre retour à la maison, on se change dans un « sas de décontamination » improvisé (entrée, garage ou le jardin) puis direction la douche et nos vêtements vont à la machine à laver.
Il est important de noter que jusqu’à ce moment de la crise, nous n’avons pas à eu suivre à domicile de patients contaminés. Donc nous avions une petite réserve, qui serait rapidement insuffisante si un cas se présentait et que l’on devait se protéger intégralement. C’est pourquoi nous avons choisi d’économiser, ou plutôt, on a utilisé à bon escient le matériel disponible sans mettre en danger la sécurité de nos patients ; ou la nôtre… C’est encore notre logique aujourd’hui, à 10 jours du déconfinement.
De fait, il est inutile d’utiliser l’équipement complet dès que l’on entre chez quelqu’un. Ce serait un usage excessif de ce que l’on a si peu. On favorise donc le lavage de main à l’eau et au savon (souvent les patients nous réservent une serviette). D’ailleurs ça nous permet de retirer les sur-couches de solution hydro-alcoolique qui rendent les mains poisseuses.
Alors on se lave les mains… On se lave beaucoup les mains. En arrivant et en repartant du domicile des patients. Mais aussi après être rentré dans notre véhicule, à la maison, etc. Nos mains sont irritées, desséchées, craquelées parfois jusqu’au sang. On s’applique de la crème le soir et on redoute le 1er lavage du lendemain.
On utilise aussi la technique qu’on pourrait appeler de « manchot empereur ». Elle consiste à utiliser ses coudes au maximum pour ouvrir les portes ou sonner aux interphones. Tous les jours nous portons un masque, que nous ne retirons qu’à la fin de la tournée matinale et celle du soir. C’est inconfortable, on y respire mal, on y transpire beaucoup, surtout lorsqu’on est dans un logement ou une salle de bain surchauffée de personnes âgées. L’élastique irrite l’arrière des oreilles et si vous éternuez…
Autre inconvénient, la communication. On est gêné lorsque l’on parle. Le son de notre voix est voilé et nos patients sont tous âgés, donc malentendant, voire totalement sourd…
Enfin, on désinfecte tout notre matériel non jetable, tensiomètre, thermomètre mais aussi le téléphone, l’habitacle de la voiture (tableau de bord, poignée et tous les petits boutons que l’on touche en permanence lorsque l’on conduit). A notre retour à la maison, on se change dans un « sas de décontamination » improvisé (entrée, garage ou le jardin) puis direction la douche et nos vêtements vont à la machine à laver.
Toutes ces précautions inhabituelles nous demandent beaucoup d’énergie, la marge d’erreur étant inexistante. La tension est présente car je ne veux prendre aucun risque pour la santé de mes patients et pour la mienne. Le soigné peut être une menace tout comme le soignant. Travailler avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, est un poids supplémentaire sur mes épaules. Très sincèrement, je n’avais jamais ressenti ce « danger » au travail. Pourtant, j’ai occupé un poste d’infirmier dans un service de psychiatrie fermée où la gestion de la violence faisait partie du quotidien et était anxiogène.
Mais lorsque vous êtes en libéral, vous êtes seul et devez gérer les inconvénients de cette solitude (urgences, patients exigeant, souffrance, entourage familial, etc.). Vous êtes face à des difficultés palpables qui peuvent s’anticiper et se maîtriser (dans l’ensemble). Alors que ce virus est invisible, insaisissable malgré tout ce vous faite pour vous protéger de lui. Dans un prochain article je parlerai de ce stress et comment je le gère dans mon quotidien professionnel et personnel.
À propos de l’auteur : Je m’appelle Damien Vouaux. Je suis infirmier à domicile depuis 5ans, dans un cabinet composé de 5 associés sur la commune de Bordeaux, quartier Saint-Augustin. Nous prenons en charge 45 patients par jour, répartis sur 2 tournées. Au travers de plusieurs articles, je vais tenter de vous décrire mon quotidien professionnel depuis l’arrivée du Coronavirus…