Anne Hidalgo propose de doubler le salaire des profs, je propose de doubler leur intelligence émotionnelle

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Le salaire et les devoirs des profs

La maire socialiste de Paris et nouvelle candidate à l’élection présidentielle, a marqué les esprits dans ce début de campagne. Une de ces mesures phares qu’elle présente dans son livre-programme « une femme française » concerne le salaire des profs. Elle estime “possible de multiplier par deux au moins le traitement de toutes les personnes au contact avec les élèves”, “sur la durée d’un quinquennat”.

La candidate se base notamment sur la comparaison des enseignants entre la France et des pays européens. Comparaison soutenue par Gilles Langlois, secrétaire national du syndicat d’enseignants SE-Unsa, sollicité par franceinfo : “si on regarde la situation sur le temps long, la France est en retard par rapport à des pays européens comparables, comme l’Allemagne. Il y a une paupérisation objective des enseignants. Leur sentiment de déclassement est extrêmement fort.” 

Anne Hidalgo fait ainsi valoir qu’« aujourd’hui en France le salaire d’un professeur en début comme en fin de carrière est deux fois moins élevé que celui qu’il pourrait avoir en Allemagne ou aux Pays-Bas »

Les indicateurs de l’OCDE confirment cet écart, au moins entre la France et l’Allemagne. Dans le primaire, un enseignant gagne 31 300 équivalents dollars par an en France lorsqu’il débute, contre 63 257 en Allemagne, et 55 086 à l’échelon maximal, contre 83 178 outre-Rhin. La différence est plus nette encore dans le secondaire. Le Français touche 32 941 équivalents dollars annuels en début de carrière et 56 889 à l’échelon maximum ; l’Allemand, 69 735, puis 91 510.

À cela, j’aimerais faire part de mon expérience personnelle. J’ai eu l’opportunité d’étudier et d’enseigner en Allemagne il y a plusieurs années. Certes, les profs allemands sont mieux considérés et mieux payés, ils sont aussi plus qualifiés, plus compétents et travaillent plus ! Les semaines de vacances sont moindres par rapport aux Français. Et il est généralement attendu des enseignants allemands qu’ils enseignent au moins deux matières au lycée-collège. Ils ont donc un cursus universitaire plus riche complété par une réelle formation au métier d’enseignant.

De plus, les budgets étant restreints en Allemagne comme en France, les profs sont souvent les seuls adultes dans les établissements. Pas ou peu de surveillants dans les cours de récréation, c’est les profs qui s’en chargent. Même ceux que l’on pourrait comparer chez nous avec les CPE sont souvent aussi enseignant[1].

Donc sans rentrer dans des débats idéologiques, il semble opportun de comparer ce qui est comparable et d’aller jusqu’au bout de la logique de « changement ». Le salaire ne fera pas tout.

[1] Les Dernières Nouvelles d’Alsace détaillent ces contreparties dans un article parfaitement référencé et chiffré : https://www.dna.fr/societe/2021/09/13/oui-les-profs-allemands-gagnent-plus-que-les-francais-mais-ils-travaillent-plus

La souffrance des profs

Néanmoins, s’il est un constat sur lequel tout le monde s’accorde, c’est celui de la souffrance des profs. Les raisons en sont multiples et font l’objet de débats récurrents. À mon sens, il y a un facteur qui est insuffisamment mis en avant et que l’on sous-tend dans beaucoup de témoignages d’enseignants.

Nombre d’entre eux se plaint ainsi du stress qu’ils ressentent au quotidien, de la difficulté émotionnelle à gérer des classes hétérogènes. Et on ne va pas se le cacher, « tenir » une classe de 30 élèves c’est épuisant. Si vous êtes parents, vous savez à quel point vos enfants peuvent vous taper sur les nerfs certains soirs. Vous en avez combien ? Deux, trois ? Les profs en ont cent à gérer tous les jours .! Ce qui relève du suicide pédagogique !

Alors la grande question que l’on devrait se poser est la suivante : les profs sont-ils suffisamment formés pour gérer leurs émotions ?

Tout le monde connaît aujourd’hui le terme de burnout, qui est passé dans le langage courant. Il renvoie au sentiment d’épuisement professionnel, à la fatigue intense, à la perte de motivation et chez certains patients, on peut relever des symptômes dépressifs et une sorte de cynisme. Or, ce que l’on sait moins, c’est que le burnout a particulièrement été étudié chez les enseignants. Historiquement, les premières modélisations de burnout se sont faites sur des populations de soignants. Puis nous nous sommes aperçus que dans le corps enseignant, la relation établie avec les élèves, véritable mélange de proximité affective et attentionnelle, pouvait s’apparenter, dans une certaine mesure, à la relation de « soin » des infirmiers ou des médecins. Pascal Ide parle du burnout comme de « la maladie du don ». De sorte, les enseignants, qui ont souvent un profil très empathique, sont facilement sujets à l’épuisement professionnel.

En conséquence, on peut affirmer, au risque de heurter la profession, que les enseignants n’ont pas suffisamment développés leur intelligence émotionnelle.

Une question de compétences émotionnelles

Pour le dire autrement, les enseignants manquent de compétences émotionnelles. Certes ils ont l’empathie, la sociabilité, souvent la motivation intrinsèque, mais ils manquent de compétences dans la gestion et la régulation de leurs propres émotions.

Pourquoi ? Parce que, toujours au risque de les heurter, les profs n’ont jamais quitté l’école ! L’expérience est le moyen « classique » de développer sa gestion du stress. L’expérience vous amène à bouger, à vous intégrer, à voir d’autres univers, à vous adapter à d’autres profils et d’autres milieux que les vôtres. Mais le parcours des profs c’est souvent : maternelle, CP, collège, lycée, université et retour au collège !  Entre le retour au collège et l’université il y a les examens et le fameux CAPES qui les stressent tous. Mais est-ce suffisant pour apprendre à gérer ses émotions correctement ? Je suis à peu près sûr que non.

De sorte, à l’expérience pure, il faut souvent associer « la formation ». Les entreprises ont bien compris cet enjeu et proposent aujourd’hui de plus en plus de formations à leurs salariés axées sur la gestion du stress, la gestion de la colère, de l’empathie, etc. Elles n’hésitent pas à parler de bien-être au travail car elles ont bien compris que des salariés heureux sont plus productifs et qu’il était préférable pour tout le monde de travailler avec des collaborateurs épanouis plutôt qu’avec des collaborateurs qui passent leur temps à manifester leur tristesse ; quand ils ne sont pas en arrêt-maladie !

Alors en plus d’augmenter leur salaire, Anne Hidalgo va-t-elle proposer aux enseignants d’augmenter leur intelligence émotionnelle ?

Je ne sais pas. Mais c’est une question qui devrait largement être débattue politiquement. Outre le fait d’aider les enseignants à être en meilleure santé mentale, il faut voir aussi dans cette démarche une question de transmission. L’école d’aujourd’hui a beaucoup évolué. Elle conserve sa mission de transmission de savoir. Elle a toujours sa mission de socialisation, d’intégration aux valeurs républicaines. Mais l’école moderne doit aussi permettre à chacun de trouver ses « superpouvoirs ». Elle doit aider les jeunes à savoir ce pour quoi ils sont bons et dans quoi ils vont s’accomplir.

De plus, il faut être lucide. Il est bien difficile pour des adolescents de faire confiance à un adulte si celui-ci manque de confiance en lui et de contrôle. Un prof qui perd ses nerfs à la moindre provocation de ses élèves perd aussi toute légitimité. Pour transmettre la confiance il faut avoir confiance en soi. Pour apprendre à gérer le stress aux élèves, il faut savoir gérer le stress soi-même. C’est une question de crédibilité et d’exemplarité.

Alors aidons les enseignants à développer leurs compétences émotionnelles. Et ainsi, aidons surtout les élèves !

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