PREMIÈRE PARTIE
Un entraineur est un manager. Un excellent entraineur est un manager hors pair. Il comprend ses athlètes, il les met en confiance. Mais plus encore, il sait faire évoluer les athlètes entre eux. Il sait créer un groupe. Il sait créer de la cohésion. Il amène du sens.
Pour le chercheur Edson Filho (2020), les équipes les plus performantes sont reconnues pour leur « parfaite alchimie », ressemblante à la complexité d’une molécule composée d’innombrables éléments chimiques, que les entraineurs et les différents intervenants doivent prendre en compte et assembler. Parmi les composants théoriques de la vie d’une équipe on distingue la cohésion, l’efficacité collective, la coordination et les modèles mentaux collectifs. Mais la cohésion reste au centre de tout, c’est souvent d’elle que découlent tous les autres concepts. Albert Carron (2005), qui apparait comme le précurseur en la matière, a théorisé la cohésion sous une forme multidimensionnelle. Son modèle reste, aujourd’hui encore une référence. Selon Carron, un groupe sportif est avant tout « un rassemblement de deux ou plusieurs individus qui possèdent une identité commune, avec des buts et des objectifs communs, ils partagent un destin commun, présentent des patrons structurés d’interactions et de communications, ils possèdent des perceptions communes de la structure du groupe, ils sont personnellement et structurellement interdépendants, ils manifestent une attirance interpersonnelle réciproque et se considèrent, eux-mêmes, comme un groupe ». En clair, la cohésion est un construit utilisé pour représenter la cohérence des groupes. On distingue deux dimensions : l’intégration au groupe et l’attraction individuelle vers le groupe. L’intégration au groupe est la perception individuelle, de chaque joueur, dans sa proximité et à son sentiment d’unité au groupe. L’attraction est l’ensemble des sentiments des joueurs à l’égard du groupe et leurs désirs d’être accepté. Chacune de ces dimensions peut s’exprimer selon deux orientations, sociale et opératoire, la cohésion sociale renvoyant à la part affective et émotionnelle, la cohésion opératoire faisant d’avantage référence à des éléments technico-tactiques. La cohésion est donc un concept facile à assimiler intuitivement. Mais sa définition scientifique est plus complexe. Elle distingue quatre variantes. De façon générale, retenez que la cohésion sociale est le niveau de connaissance de l’autre permettant la confiance dans l’équipe. C’est la dimension purement affective, voire amoureuse, qui fait que chaque membre de l’équipe soit capable de se sacrifier pour le bien commun. Chaque joueur donne de son temps, de son argent et de son énergie pour que l’équipe gagne. Cette notion d’affect est très présente dans les sports collectifs mais aussi dans les commandos militaires ou chez les pompiers. La cohésion opératoire est plutôt en lien avec la « structure » de l’équipe. Ce sont les murs et le toit de la maison que les entraineurs devront bâtir, en accord avec l’architecte, le contremaitre et les ouvriers. La cohésion opératoire pose les droits et les devoirs de chacun. Elle détermine les règles de vie, les fonctionnements, les leaders, le plan de jeu et les points clés organisant la vie de l’équipe. Il faut donc prendre garde à ne pas avoir à refondre la chape ou à veiller à ce que les murs soient droits ! D’un point de vue purement terrain, cela renvoie aussi à la capacité qu’a un entraineur à pouvoir faire jouer son équipe selon tel ou tel plan de jeu. Le summum étant, comme Guardiola, d’amener ses joueurs à changer de plan tactique au sein d’un même match.
La plupart des entraineurs, notamment de sport collectif, connaissent ces notions de cohésion sociale et opératoire. Mais ils sont encore plus « fins » dans leur description, non pas des formes de cohésion mais de la cohésion de leur équipe. Ces entraineurs-managers, à l’image de Phil Jackson le coach aux onze titres NBA (2014), ressentent quand leur groupe devient une équipe. Ils connaissent même les obstacles à franchir et concentrent une grande partie de leur travail sur cette recherche « d’équipe ». C’est ce que notre collègue Jérémy Bertin appelle dans sa propre modélisation « l’équipe gagnante » (Cf. Figure 1).
Figure 1 : Illustration de l’évolution vers une équipe gagnante
De fait, tout groupe passe par des stades d’évolution. Au stade 1, chaque membre est intéressé par ses enjeux personnels, sans réelle synergie. Le développement de l’équipe est centré sur les compétences, avec une réflexion sur les contenus, ce qui favorise des experts spécialisés dans un domaine. Il y a des luttes pour garder son territoire. Chacun recherche une reconnaissance individuelle et ne partage pas son travail. A ce stade, le management est plutôt descendant, avec un manager donneur d’ordre (celui qui sait). Il fait autorité et commande. Cela laisse peu de place pour les collaborateurs qui ont très peu d’autonomie et restent dépendants. A ce stade, le « chef » gère également les conflits, mais sans réflexion à long terme. Ce sont des relations que l’on observe souvent entre un professeur et son/ses élèves, ou avec un manager très expert dans un domaine. L’objectif n’est pas pour lui de faire team mais de contrôler et de produire pour aller dans son sens.
Figure 2 : Stade 1
Au stade 2, le groupe devient solidaire mais a besoin de temps pour communiquer et se comprendre. L’apport de cohésion sociale a créé de l’humanité dans l’équipe. Les processus sociaux et d’interactions entre chaque membres sont efficaces. Le climat social est bon. La confiance entre les membres existe. Il y a une vie de tribu. Chacun comprend que les enjeux des autres sont importants. Le responsable de ce groupe est un coach en RH. Il s’intéresse au bien-être de l’équipe et en fait même son objectif. Il laisse de l’autonomie et de la responsabilité, ce qui permet la prise d’initiatives. Il inclue même des brainstormings et des temps de réflexion. Enfin, la gestion des conflits se fait de façon assertive.
Figure 3 : Stade 2
Au stade 3, le groupe pyramidal est un système efficace sur le plan opératoire. L’organigramme est connu et clair pour tout le monde. Chacun connait son rôle et ses missions. Les niveaux hiérarchiques sont respectés. Le responsable/entraineur est un chef d’orchestre. Il délègue des missions à des sous-groupes qui avancent en fonction, avec toujours un projet stimulant à mener à bien. C’est un responsable qui veut la réussite de l’entreprise et qui a su créer son propre tableau de bord pour avancer. Il s’organise de façon méthodique, step by step, pour atteindre son but. Les problèmes sont traités par amélioration continue. La cohésion opératoire est vraiment omniprésente. De sorte, rien n’est laissé au hasard pour un fonctionnement optimal. Les conflits se règlent en se rapportant à la législation interne. Ici, pas de place au doute, l’objectif est la performance.
Figure 4 : Stade 3
Enfin, au stade 4 apparait la notion de sens. Le sens des actions est aligné sur les enjeux personnels de chacun ainsi que sur la réussite collective. La frustration personnelle est acceptée par les joueurs car la réussite de l’équipe prime. Tous forment un cercle de qualité. Les collaborateurs ont une vision holomorphique de l’équipe où chaque personne se sent incluse, importante et responsable. La synergie est optimale. Les problèmes sont réglés en temps réel puisque les attentes sont d’avoir des relations gagnant-gagnant.
Figure 5 : Stade 4
Le leader est responsable et porteur de sens. Il est leader par posture mais chacun conserve son autonomie et sa part de responsabilité individuelle pour pallier les missions du leader. La créativité et l’innovation sont encouragées dans une dynamique d’amélioration continue des performances et du climat social. La confiance permet à chacun d’avoir une sécurité intérieure, où les jeux de pouvoirs ne sont plus « sur » mais « pour » les autres. Les rôles et missions de chacun sont connus car co-construits ensemble. Le fonctionnement vit en intelligence collective. A noter d’ailleurs que les objectifs de performance sont cohérents avec les objectifs de bien-être. Le choix de la performance ne se fait jamais au détriment de la santé des joueurs.
Sauriez-vous décrire le stade auquel se trouve votre équipe ou votre groupe d’entrainement ? Entourez votre stade.
Stade 1
Stade 2
Stade 3
Stade 4
Peut-être envisagez-vous les choses systématiquement selon une grille de lecture échec vs réussite. Mais n’y a-t-il pas d’autres possibilités ? Toutes les réussites sont-elles des réussites à 100 % ? Tous les échecs, des échecs à 100 % ?
Pour analyser la cohésion actuelle de votre équipe. Et accélérer le processus, nous vous mettons à disposition un nouveau questionnaire. Celui-ci a été élaboré par notre collègue préparatrice mentale Shirley Beauducel. Il vous permettra de repérer rapidement les facteurs de progression vers le stade 4.
Une équipe est un regroupement de personnes qui travaillent ensemble en vue d’accomplir un objectif commun. Avec ce questionnaire, vous allez pouvoir évaluer les points forts et points faibles de votre équipe. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Soyez spontané(e) et honnête. Les modalités vont de 1 (pas du tout d’accord) à 10 (tout à fait d’accord).
Pour chaque questionnaire, additionnez les scores obtenus aux 5 items de chaque facteur et divisez cette somme par 5.
Vous obtiendrez alors un score moyen pour chacun des 11 facteurs. Regroupez les questionnaires de tous les membres de l’équipe.
Pour chaque facteur, additionnez les scores moyens de chaque membre et divisez par le nombre de membres.
Vous obtiendrez alors la moyenne globale de l’équipe pour chacun des 11 facteurs. Reportez ensuite les moyennes des 11 facteurs sur le graphique ci-dessous.
Il vous suffit alors de relier les 11 points afin d’obtenir une vision d’ensemble des résultats. Plus les points seront éloignés du centre et plus le niveau de cohésion de votre équipe sera élevé.
Considères-tu ton équipe comme performante ? Que lui manque-t-il pour qu’elle le devienne ?
Définis ton équipe en 3 mots :
DEUXIÈME PARTIE
Alors votre équipe ou votre groupe d’entrainement maintient-il une bonne cohésion ? Nous aborderons précisément ici l’intérêt de travailler les deux formes de cohésion sociale et opératoire.
Culturellement, il est acquis que le rôle de l’entraineur est de prévoir un plan de jeu tactique. Il doit émettre des stratégies pour les différentes rencontres. Il doit préparer ses entrainements techniques. Il doit mettre ou organiser un suivi médical. Il doit aussi déléguer la partie administrative et passer commande à la partie logistique. De fait, tout le travail de coordination se prépare et se maitrise. Mais ce n’est pas tout, l’entraineur d’aujourd’hui doit aussi créer des protocoles et des méthodes pour que le groupe puisse bien vivre socialement. Il doit savoir créer des opportunités pour que des liens se tissent. A notre sens, l’entraineur est le véritable chef d’orchestre de la cohésion sociale et opératoire. Malheureusement, nous constatons que peu d’entraineurs se consacrent vraiment à cette dernière responsabilité. Ils privilégient encore l’aspect technique et tactique à l’aspect psychologique. Nous pourrions vous citer nombre d’entraineurs très connus qui arrivent en début de saison, ou lors de transferts, sans connaitre les noms des joueurs. Certains oublient de présenter le staff à l’ensemble de l’équipe. D’autres débutent leur séance sans expliquer le projet, ni le planning. Et nous ne parlons pas des entraineurs qui arrivent en retard le premier jour ! Cela peut paraitre caricatural, mais de notre expérience, nous constatons que seuls les « grands » entraineurs ont déjà préparé un plan de cohésion opératoire et sociale lorsque la saison démarre. Ils ont ficelé leur planification. Ils ont déjà créé de la cohésion avec leur staff et ont même déminé les problèmes logistiques et administratifs, pour pouvoir se consacrer à la pratique. Leur plan de bataille sera généralement en trois étapes : (1) définir les objectifs collectifs, (2) établir des normes et des règles, (3) développer une identité collective et faire en sorte d’inclure chaque individu dans le groupe en lui attribuant un rôle. Dans la même logique, avant de vraiment commencer la saison, les grands entraineurs ont déjà calé plusieurs rendez-vous pour faire connaissance avec tout le monde. Ils ont ainsi plaisir à se retrouver autour d’un repas ou d’une activité.
Retenez donc qu’une saison se prépare avant la reprise. Vous devez avoir un plan de bataille que vous pourrez modifier au fil de l’année, mais le cap restera le même. Si tout est bien encadré et délégué, vous aurez deux axes à vous soucier tout le long de la vie de l’équipe : la cohésion opératoire et la cohésion sociale.
Comme mentionné précédemment, la cohésion a fait l’objet de très nombreux travaux depuis les années 80, notamment au sein des équipes nord-américaines (Carron, Shapcott, & Burke, 2008). Une des grandes questions que les chercheurs se sont posés a été de savoir s’il était préférable de viser une bonne cohésion opératoire ou une bonne cohésion sociale, ou les deux ? Dans l’histoire du sport et des grandes équipes, vous trouverez de multiples anecdotes illustrant ce débat. Les bulls de Chicago de la grande époque, par exemple, étaient au sommet de la cohésion opératoire. Est-ce que les joueurs étaient tous potes ? #thelastdance
D’un point de vue scientifique, un large consensus est établi sur les besoins de cohésion globale pour performer. Il faut prendre en compte dans cette analyse le niveau de l’équipe. Pour être plus précis, à un niveau amateur/loisirs, il est préférable de privilégier la cohésion sociale. C’est souvent plus simple à mettre en place, et globalement, c’est ce que les joueurs recherchent. Ils veulent avant tout s’amuser, passer du bon temps avec leurs partenaires d’entrainements et même s’en faire des amis. Si vous obtenez une bonne cohésion opératoire c’est très bien, mais nous vous encouragerions à viser en premier lieu l’aspect affectif avec ces joueurs. À un niveau professionnel, la tendance sera inversée. En tant qu’entraineur, vous aurez tout intérêt à rechercher la cohésion opératoire. Si les joueurs s’apprécient et passent du temps ensemble en dehors des entrainements, c’est très bien, mais ils sont là avant tout pout « travailler ». Et au travail, on veut de l’ordre, de la précision, de la bonne répartition de tâches et de rôles, on veut que chacun respecte sa place, que ça communique correctement et que le système soit efficient. Pour autant, si vous êtes entraineur de haut niveau, ne mettez pas la cohésion sociale de côté. Nous avons évolué et accompagné des équipes pros dans lesquelles certains joueurs se détestaient et… toute l’équipe en a pâti. Gardez donc un oeil sur les barbecues et les sorties. Et si vous entrainez des personnalités absolument incompatibles, acceptez qu’ils ne s’entendront jamais. Par contre, faites en sorte qu’ils ne manifestent pas trop leur incompatibilité. Rappelez-vous également que le must, le stade 4 de l’équipe gagnante est un parfait alliage entre cohésion opératoire et cohésion sociale.
LE CAPITAINE BLIGH CONTINUE D’HUMILIER SES SUBORDONNÉS
En janvier, 3 marins désertent et s’enfuient en pirogue. Ils seront retrouvés et fouettés. Le climat sur le navire se dégrade très rapidement. Les colères du capitaine Bligh sont terribles et demeurent imprévisibles. Christian second officier organise une mutinerie avec une partie de l’équipage et prend le contrôle du Bounty. Le capitaine Bligh et 18 hommes restés loyaux seront abandonnés dans une chaloupe avec 5 jours de nourriture et d’eau, un sextant et une boussole.
La mutinerie du Bounty
Connaissez-vous un joueur ou un entraîneur qui accepterait de se faire humilier à chaque entrainement ? Même si c’est « pour son bien », même si c’est pour le rendre plus fort mentalement. Les entraîneurs de natation ou de gymnastique sont réputés pour être sévères, presque cruels. Le magazine l’équipe du 20 octobre 2020 a consacré toute une enquête sur « l’enfance brisée du sport asiatique ». Les journalistes ont notamment recueilli le témoignage de l’ancienne prodige de la gymnastique singapourienne Eileen Chai. Elle y raconte souffrir encore de stress post-traumatique, en lien avec les sévices physiques et le climat de terreur instauré par les entraineurs de son enfance. Certains pays cultivent en effet la rigueur à outrance comme moyen de performer. Si sur des sports individuels, ou peut retrouver des champions créés dans ce moule, le cas est plus rare en sport collectif. Le besoin de faire cohésion fait que les sports collectifs gagnent à avoir un modèle plus respectueux les uns des autres. La façon de communiquer entre les coéquipiers et avec les entraîneurs est primordiale.
Entendons-nous bien, nous n’affirmons pas qu’un entraîneur de sport collectif ne peut pas être autoritaire ou colérique. Mais il reste le garant de « l’ambiance » du groupe, il est le fédérateur et doit donc veiller à ne pas être trop sévère. Les exemples sont multiples. Didier Deschamps, le sélectionneur de l’équipe de football championne du monde en 2018, donne l’impression de maîtriser ses émotions. Claude Onesta, Zinedine Zidane, Vincent Collet, tous sont des entraîneurs de charisme qui savent garder leur calme. Pour le dire simplement, l’entraîneur d’un collectif doit se faire respecter, voire aimé par ses joueurs. Il pourra être dur mais le groupe doit avoir l’impression que c’est « juste ». Le jour où la relation entraineur/entrainé est cassée, n’importe quel bon technicien sera en difficulté. Il s’en suivra une multitude de problèmes humains dans son staff et dans son équipe. Si les membres de l’équipe ne croient plus aux rêves du « chef », l’équipe va se déliter.
Voici les 5 grandes familles de comportements anti-cohésion que nous avons référencé :
TROISIÈME PARTIE
Nous vous proposons de faire le bilan de votre fonctionnement. Prenez le temps de réfléchir sur votre façon actuelle de travailler la cohésion. Répondez, en quelques lignes, aux questions qui vont suivre.